Que fait un agronome comme vous dans une traduction comme celle-ci ?

21 janvier 2021

Ceux d’entre nous qui donnent de leur temps en tant que volontaires à l’Ile du Roi savent très bien ce que cela signifie et les conséquences d’une proposition de collaboration suggérée par le président de la Fondation.

J’écris ces lignes avec toute l’affection et le respect que nous avons tissés entre nous, au cours de ces années d’étroite collaboration dans la tâche de mener à bon port la restauration de l’hôpital naval construit par les Anglais en 1711. Un joyau architectural et une partie fondamentale de l’histoire de Minorque, en tout cas de l’histoire moderne de l’île.

On a beaucoup écrit sur la genèse de ce projet de restauration et sur la façon dont un petit groupe de personnes, très hétérogène, issu de ce que l’on appelle souvent aujourd’hui la « société civile », a pu surmonter la négligence des administrations passées successives et offrir aux Minorquins et à leurs visiteurs un lieu qui leur permet de voyager à travers les 14 ou 15 derniers siècles de notre histoire. C’est aussi une histoire de leadership très spécial et parfois débattu.

La pandémie provoque souvent chez les gens, entre autres choses positives, un désir de collaborer ainsi qu’un nombre d’heures disponibles pour un travail qui, autrement, ne trouverait jamais le temps d’être effectué.

Parmi le legs impressionnant du Dr Juan Camps, un contemporain de Mateu Orfila, nous avons reçu un traité d’ophtalmologie du 18e siècle, signé par un certain John Taylor, inconnu de beaucoup d’entre nous, mais qui était l’ophtalmologue du roi George II.

Et dans le contexte des activités de la Fondation, quelqu’un a suggéré qu’il serait intéressant de traduire ce travail. Comme c’est en général le cas pour les volontaires, on en a trouvé suffisamment pour commencer le travail, après quelques tours de table.

Et comme c’est l’habitude de procéder à l’Ile du Roi, nous nous sommes réparti le travail et nous y sommes jetés avec toute l’énergie dont nous sommes capables.

Quelques mois plus tard et après 23 chapitres de cet ouvrage, nous avons découvert un ophtalmologue anglais charlatan, ou quel que soit son nom à une époque où les connaissances dans ce domaine étaient limitées, qui écrivait en vieil anglais, avec une orthographe quelque peu différente de l’anglais actuel, et qui décrivait les opérations et les traitements qu’il pratiquait « in vivo », c’est-à-dire « sauvagement » sur ses patients. Après chaque opération, il chantait ses propres louanges, nourrissant ainsi son immense ego.

Nous avons également découvert – grâce à Internet – qu’il avait eu une certaine notoriété en Europe et qu’il avait traité des personnes de haut rang, dont certaines furent quelque peu affectées par ses opérations. Bach et Haendel sont parmi les personnalités les plus célèbres qu’il a rendues aveugles en essayant de les opérer de la cataracte.

C’était aussi un nomade qui se déplaçait à travers l’Europe, non pas comme ceux qui, grâce à Internet et au télétravail, peuvent maintenant se déplacer dans des lieux éloignés de leur lieu de travail physique, mais pour éviter les problèmes généralement importants du « lendemain » de ses opérations,. De cette façon, il échappait aux plaintes et abandonnait la responsabilité en d’autres mains, qu’il pouvait toujours blâmer pour le mauvais suivi de la guérison. Cette façon de faire me dit quelque chose, et plus encore avec cette pandémie.

Jusqu’à présent, tout est normal, les choses de la vie. Nous avons appris, chacun parmi la douzaine de traducteurs, beaucoup de choses sur les opérations et l’histoire de l’ophtalmologie, des termes anciens qui ressemblaient à des latinismes, ce qui nous a obligés à chercher dans les dictionnaires et nous avons trouvé des termes intraduisibles ainsi qu’une façon d’écrire très différente de la nôtre aujourd’hui, avec des phrases kilométriques, sans virgules, des points-virgules sautés, ce qui donnait des paragraphes impossibles.

Chacun de nous a fait son travail avec plus ou moins de bonheur, mais tous avec la bonne volonté qui nous caractérise et, au final, le travail qui en a résulté a été rangé dans un tiroir virtuel.

La première vague de la pandémie est arrivée, avec la disponibilité dont nous parlions à l’instant.

Et à l’Ile du Roi, si vous demandez… vous êtes mort.

J’ai commis l’ « erreur » de demander et comme j’aurais du m’en douter, j’ai raflé la mise … Le gars avait l’air si intelligent… !

Eh bien, j’étais confiné, j’avais le temps et je me suis lancé.

12 traducteurs, 12 méthodes, 12 critères, 12 polices, 12 tailles, 12, 12, 12, de tout. Une folie totale !

Mais comme pour tout dans la vie, il faut s’y mettre et petit à petit, les choses se font. Grâce à la collaboration de quelques volontaires, en particulier de José María Vizcaíno, nous avons réussi à harmoniser les polices et les formats, à coller, à nettoyer les textes et à donner un peu de sens aux 23 chapitres qui ont résisté comme des lions à l’assemblage et au formatage.

Cela m’a même servi à apprendre des détails de Word que je n’aurais jamais imaginé se trouver là, cachés parmi les onglets…

La lecture finale est pour le moins intéressante, car les commentaires du Chevalier John Taylor sur son travail et celui de ses prédécesseurs sont précieux, parfois politiquement incorrects, ce qui ne semblait pas déranger ledit Chevalier.

Bien que, comme je le disais, la lecture puisse sembler dans certains chapitres intéressante et même passionnante en raison des méthodes « innovantes », quelque peu saignantes et certainement invasives comme on dit maintenant, le pavé est vraiment difficile à digérer pour un profane en la matière.

Le débat actuel porte sur la manière de présenter cet ouvrage, de le rendre attrayant pour un lecteur non professionnel, qui s’intéresse simplement à l’histoire et à l’évolution technique de cette spécialité médicale.

Heureusement qu’il n’y avait pas de Tweeter à cette époque… peut-être aurait-on coupé la connexion ou annulé son compte, comme à un individu très célèbre que nous connaissons tous !

Nous y travaillons…

Alfredo Fenollosa Domènech

Ingénieur agronome