Juan Quetglas Moll

RESUME

Les auteurs de ce travail font une compilation de données sur ce que fut la vie de l’édifice disparu, l’Hôpital de l’Ile du Roi, situé dans le port de Mahon.
Fondé en 1711 pendant la première domination anglaise, il subit de multiples vicissitudes imputables à son utilisation par les Français, les Américains et les Espagnols. C’est en 1852 que se stabilise son fonctionnement comme hôpital militaire espagnol, jusqu’en 1964, date à laquelle il est transféré à la Ville de Mahon, avant d’être définitivement abandonné. L’édifice qu’il occupait fut vendu aux enchères en 2003.
MOTS-CLES: Histoire de la Médecine militaire. Hôpital militaire de Mahon.
Adresse-courrier: Dr Juan Quetglas Moll- Via de las Dos Castillas, n°11 – Portail 1 – 1°C- 28223 Pozuelo de Alarcon (Madrid)
*Médecin-colonel (en retraite). Ex-chef du Service de Chirurgie Plastique de l’Hôpital militaire « Gomez-Ulla » (Madrid)
*Médecin-colonel Spécialiste en Pathologie de l’Hôpital Central de la Défense
INTRODUCTION
Un remarquable historien médecin, Comenge, écrivait ceci:  » L’Histoire est comme l’atmosphère qui entoure et pénètre l’homme sans qu’il puisse s’installer en un point fixe où se trouve la fin et le commencement, et, de même que, sans atmosphère, l’organisme humain ne peut vivre, de même il n’est pas concevable que la science vive sans l’histoire ». (1)
Dans ce travail, on a réuni les données relatives à la vie de l’hôpital, qui étaient dispersées en différentes publications; elles peuvent faciliter une étude historique complète de ce qu’on appelle familièrement l’ « Hôpital de l’îlot » ou, en d’autres temps, « Hôpital royal de l’Armée et de la Marine », pour finalement être désigné comme « Hôpital militaire ». Par sa situation géographique et les vicissitudes qu’il a connues, il peut être considéré comme unique parmi les hôpitaux militaires d’Espagne.
Pour donner une vision plus complète de l’environnement dans lequel il a évolué et qui rend son existence singulière, nous rapporterons certains événements qu’a traversés Minorque.
L’île de Minorque, la « Minus Insula » des Anciens, est la plus orientale et septentrionale de l’archipel des Baléares, ainsi que la terre la plus extrême, vers l’est, des territoires d’Espagne. Par sa situation privilégiée, elle a été considérée de tout temps comme d’une grande importance stratégique. Elle occupe le centre d’une circonférence imaginaire qui passe par la côte levantine espagnole, le sud de la France, la Corse, la Sardaigne et le nord de l’Afrique. Sa forme ressemble à un rein et elle est orientée dans le sens ouest-nord ouest et est-sud est. (2)
Comme elle se trouve au centre des routes commerciales et migratoires, elle fut habitée par diverses civilisations, dont les Ibères, Celtes, Rhodiens, Phéniciens, Carthaginois, Romains, Goths, Arabes, Aragonais, Catalans, Anglais et Français; certains d’entre eux s’établirent avec leurs bateaux au port de Mahon, pour l’hivernage. L’île a aussi été un refuge pour les Cubains déportés lors des guerres d’outremer. On peut affirmer que, pratiquement, tous ont laissé quelque trace qui se reflète dans l’architecture ou dans le dialecte.
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On trouve à Minorque des vestiges des nombreuses civilisations qui y vécurent, y compris de peuples qui ne sont pas arrivés à la dominer, comme les Egyptiens. Parmi celles-ci, il convient de souligner la civilisation celte; ils arrivèrent sur l’île aux environs de 1500 av. JC et furent les constructeurs des monuments connus comme les Talaïots, Taulas, Navetas, etc. qui aujourd’hui sont toujours conservés et font l’admiration de tous ceux qui les visitent. Si nous prenons en considération leurs caractéristiques et l’époque où ils furent édifiés, il est facile d’en déduire que les Celtes possédaient de grandes connaissances en mathématiques, en mécanique et en physique. (3)
Le port de Mahon à Minorque « Portus Magonis » tire son nom du général carthaginois Magon; ce port, comme celui de Carthage, est considéré, encore aujourd’hui, comme l’un des plus sûrs de Méditerranée. Andrea Doria écrivait déjà, vers l’an 1500, que les « ports de Méditerranée sont: juillet, août et le port de Mahon » (4). Ce qui est confirmé en 1780 : « Tout le monde sait que le port de Mahon est l’un des meilleurs et des plus sûrs d’Europe » (5). Ce port fut sans doute le motif qui incitait à dominer l’île; il intéressait les pays possédant une grande flotte et circulant continuellement en Méditerranée. Il atteint néanmoins sa plus grande importance lorsque les Anglais dominèrent l’île la première fois et y établirent leurs bases opérationnelles.
Le port de Mahon s’ouvre presque au sud de l’île, à son extrémité sud-est. A sa grande capacité s’ajoute la tranquillité de ses eaux, formant de longs bras. Il est distant de 185 milles d’Alger et de 540 de Gibraltar, ce qui permet de comprendre à quel point il est important. C’est le seul port espagnol qui dispose d’un Lazaret. A l’intérieur du port se trouvent l’Ile du Roi, celle de la Quarantaine, et à environ 80 mètres, celle du Lazaret, bien que cette dernière ne fût pas une île jusqu’à ce que, vers 1900, on ouvre le canal qui existe aujourd’hui entre le Lazaret et la Mola, de sorte que ce qui était une péninsule est devenue une île. La longueur de ce canal est d’environ un kilomètre et demi.
C’est vers le milieu du port que se situe l’Ile du Roi, d’une superficie approximative de 41 177 m2. De forme presque triangulaire, elle est dotée de deux embarcadères; celui qui est habituellement utilisé se trouve au sud, en face de la cala Fontanilles.; l’autre se situe sur la côte nord. On y trouve les vestiges d’une basilique paléochrétienne, découverte en 1888 et datée du VIème siècle. C’est en effet le 24 janvier 1888, au cours de travaux agricoles, qu’on découvrit dans la partie est de l’île une belle mosaïque d’environ 32 m2.
Le Gouverneur militaire de l’époque, le général Hipolito Llorente, bien conscient de l’importance de cette découverte, ordonna de protéger la zone; mais, faute de couverture, des détériorations se produisirent, de sorte que la mosaïque fut transportée, bien des années plus tard, au Musée de la Maison de la Culture de Mahon. Des études menées par le Dr Palol démontrèrent que ces vestiges appartenaient à une basilique paléochrétienne, alors que pour d’autres, il pouvait s’agir d’une villa romaine ou d’un temple hébreu. Le Décret royal 1243/79 du 20 avril déclara la basilique Monument historique et archéologique de caractère national. Actuellement, il ne reste que des vestiges de la construction car la mosaïque aux couleurs blanche, rose et bleue, se trouve au Musée de Mahon. Tout ceci attestait que l’île avait été habitée dans le passé. (6)
Le nom de l’Ile du Roi est dû au fait que le roi Alphonse III, connu aussi comme « Le Libéral », y débarqua la 5 janvier 1287 et y établit son campement pour partir à la conquête de Minorque; il séjourna douze jours sur l’île avec son armée, la conquête complète de Minorque s’étant achevée le 17 janvier. Rappelons qu’à la fin de 1286 on avait décidé de conquérir l’île de Minorque occupée par les Musulmans, pour la réunir à la couronne d’Aragon. Dans ce but, on envoya une importante escadre qui, naviguant près du Cap d’Artruix (Ciudadela), fut décimée par une forte tempête; le Roi put néanmoins braver les assauts de la mer et, avec dix galères, pourtant bien endommagées, gagna le port de Mahon, débarquant sur une île qu’on appelait « Ile des Lapins », nom qu’elle devait certainement à l’abondance de ces animaux. Il existait sur l’île un puits ou une fontaine qui était considérée comme miraculeuse, parce que, comme le prétend la tradition ou la légende, alors que les soldats du Roi mouraient de soif et qu’il n’y avait pas d’eau potable sur l’île, et devant l’impossibilité de débarquer sur Minorque, l’île principale, et en attendant l’arrivée en renfort des bateaux qui étaient en retard à cause de la tempête, Alphonse III
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ordonna à tout le contingent de s’agenouiller pour prier le Protecteur. Se joignant à eux, le Roi planta son épée dans le sol et, instantanément, surgit une source d’eau potable qui résolut le problème. (7)
L’HOPITAL
En 1708, Minorque était espagnole, mais le Capitaine Général anglais Stanhope et l’Amiral John Leake attaquèrent l’île en débarquant à Cala Alcaufar, où ils bénéficièrent de l’aide des habitants, avant de la conquérir. Plus tard, elle fut annexée par le duc d’Argyll. Le Général Stanhope fut nommé Comte en 1718, et ses descendants portèrent le titre de Lord Mahon jusqu’en 1905. (5) Peu après la conquête, en 1709, Richard Kane, en collaboration avec l’amiral Byng, sollicita auprès de l’Amirauté anglaise la somme de 9 000 livres pour construire un hôpital sur l’Ile du Roi. Cette demande fut refusée. (4)
Clavijo (1) nous donne une information sur l’assistance des malades à bord des bateaux en l’an 1642 qui montre l’absence d’hôpital dans le port de Mahon et qu’on peut considérer, d’une certaine manière, comme un précédent prouvant la nécessité de son existence.
Clavijo explique: « Pendant la guerre contre la France, l’escadre de 30 bateaux commandée par le duc de Ciudad Real dut débarquer sur la plage 350 hommes très affaiblis qui furent accueillis par des hommes et des femmes, naturels du pays, qui les transportèrent sur leur dos; ils les emmenèrent chez eux pour les soigner. Le Journal de bord en fait état. En entrant à Mahon, on débarqua le reste des malades et des blessés; à l’arrivée du Gouverneur Pedro de Santacecilia, qui résidait à Ciudadela, il fut décidé avec le duc qu’on libère deux maisons pour y installer les 672 blessés et malades, et que les assistent l’Administrateur général de la Flotte, le proto-médecin et tous les chirurgiens; et on les alimenta, ce qui fut fait très scrupuleusement. »
Un personnage eut une grande importance sur le développement de l’île de Minorque et, par conséquent, sur l’Hôpital de l’Ile du Roi. Il s’agit de Richard Kane, nommé Gouverneur de l’île de Minorque en 1712, et qui y resta 24 ans; à sa mort, il fut inhumé dans la chapelle du Château San Felipe. Parmi ses nombreuses actions, il reste aujourd’hui comme souvenir le « Cami d’en Kane » (Camino de Kane) qui relie San Felipe à Ciudadela; une partie en subsiste aujourd’hui, qui fut reconstruite et ré-inaugurée en 1986.
Peu après l’occupation de Minorque par les Anglais, on aménagea, sur l’initiative de Richard Kane, les bâtiments existants sur l’Ile du Roi pour accueillir les nombreux blessés et malades qui arrivaient à Minorque; on se mit d’accord sur une somme pour payer la location de l’Ile du Roi à ses propriétaires, et ce fut en 1722 qu’intervint effectivement l’expropriation de l’île dans le but d’y construire un hôpital naval pour soigner les malades de la Marine, comme on l’a dit plus haut.
Diego Pons raconte l’histoire de cette expropriation. L’Ile du Roi était la propriété privée de Don Gabriel Xerés, et en 1722 on constitua le dossier d’expropriation forcée et définitive, taxée 269 livres sterling, ce qui, au cours de l’époque, représentaient 6 300 pesetas. Mais des années passèrent sans que ce montant fût payé. L’histoire est évoquée par le Sr Simon Gual. Personne ne voulait rien savoir à ce sujet jusqu’à ce qu’en 1779 (le Sr Xerés « était mort, abattu, désespéré, et toute sa personne humiliée »), les héritières Maria et Catalina intervinrent de nouveau contre l’administration, soulignant qu’il s’était passé 57 ans durant lesquels, en dépit de nombreux recours, lettres et suppliques, on n’était arrivé à aucun résultat. Cette fois, les autorités locales prirent les lettres en considération, faisant en sorte qu’elles parviennent à la connaissance du Gouvernement anglais, lequel ordonna le paiement de la dette, intérêts compris, ordre signé au palais Saint James le 5 août 1779. L’argent arriva à Minorque mais fut bloqué par le Gouverneur.
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Ici entre en jeu un personnage singulier, il s’agit de Pedro Coca, qui, mandaté par les héritières du Sr Xerés, se déplaça à la cour du roi George III. Le Sr Gual relate que le personnage en question fit le voyage pour Londres en voiture et à pied, arrivant dans la capitale britannique dans un tel état qu’il dut être hospitalisé. Son voyage fut profitable, car il fut reçu par le Consul d’Espagne; celui-ci envoya un courrier au Comte de Floridablanca, lui exposant le cas et réclamant que soit ordonnée la transaction financière, ce qui fut fait le 6 mai 1786, soit 63 ans après le début des tractations. (7)
En 1711, l’Amiral Jennings, commandant en chef de la Marine anglaise en Méditerranée, s’étant rendu compte du trafic maritime dans le port de Mahon, réexamina la proposition qu’avait faite l’Amiral Byng et adressa à l’Amirauté une nouvelle demande pour construire un hôpital; mais le projet ne fut pas davantage accepté. Cependant, l’idée suivait son cours et on commença la construction avant même de recevoir la réponse négative, dans le but de donner du travail aux ouvriers qui avaient terminé leur travail au Castel San Felipe et se trouvaient désoeuvrés. Devant le refus de l’Amirauté, on décida que les frais de construction seraient pris en charge par l’Amiral lui-même et les officiers sous ses ordres. Plus tard, en 1714, il réclama le remboursement des frais qui s’élevaient à 468 livres. M. Griffith, l’agent des Commissaires aux marins blessés et malades fut désigné pour le recrutement et les fournitures nécessaires au bâtiment. L’hôpital fut construit à partir des baraquements et des abris qui existaient déjà à l’arrivée du Général Stanhope; il reçut le nom de Bloody Island (un nom qui fait un peu peur, mais qui n’est qu’un dérivé de « Hospital
de Sangre » [Hôpital de sang] qu’on donnait aux établissements de soins situés en première ligne). L’hôpital disposait de logements pour l’Officier naval, le chirurgien et autres personnels, et parfois on aménageait une chambre pour le Commodore de l’Escadre.
Par le Traité d’Utrecht en 1713, Minorque et Gibraltar furent concédés à l’Angleterre et c’est ainsi que l’hôpital put continuer à fonctionner.
L’édifice était de qualité si médiocre qu’il menaça ruine rapidement, et les patients durent être évacués au Couvent San Francisco à Mahon. Pour cela, il fallut déloger les moines qui y résidaient. Arrivé récemment à Minorque, le Vice-amiral John Baker se rendit compte de la situation et adressa des réclamations répétées à son supérieur de l’Amirauté, le secrétaire d’Etat Mr Burchett, jusqu’à ce que finalement on approuve la reconstruction du bâtiment en 1715.
Les travaux furent adjugés à Antonio Segui, pour un devis de 800 pièces, payable en trois fois, selon ce qu’indique un document signé le 4 août 1715, où l’entrepreneur s’engageait à terminer les travaux avant le mois d’octobre. L’Amiral Baker s’engageait de son côté à fournir des marins pour aider à la réalisation des travaux.
L’hôpital était un ensemble harmonieux à un niveau, d’une certaine beauté, orienté au sud-est; l’ensemble formait un U, comme c’était l’habitude dans le style de Wren. Sur la façade quatre colonnes soutenaient la coupole. De longues galeries latérales formées par des arcades solides et couvertes permettaient la circulation entre les salles des malades. Le dénivelé du terrain autorisait deux niveaux aux extrémités des ailes latérales, et l’accès se faisait par une cour intérieure sur laquelle se profilait un balcon; il avait 14 salles, bien ventilées, et les malades occupaient des lits individuels. L’hôpital pouvait accueillir 336 patients et disposait également de logements pour les officiers et le personnel; les chambres du chirurgien et du médecin se trouvaient près des dortoirs. Les locaux en demi-sous-sol situés au nord servaient à entreposer les provisions et ceux qui se trouvaient à l’est et à l’ouest étaient réservés au chirurgien et directeur de l’hôpital. Derrière la construction principale se trouvaient les latrines.
L’Amiral avait toujours montré un grand intérêt pour l’hôpital au point qu’en 1716, peu avant son décès, il envoya un rapport au Secrétaire d’Etat indiquant qu’au bout de trois mois passés à l’Hôpital il avait pu constater que les malades se rétablissaient plus rapidement qu’au monastère Saint François de Mahon. Il attribuait cela à un salutaire éloignement de l’abondant et indigeste vin du pays, en plus du bon air de l’île.
Par ailleurs, des détails prouvent qu’il était très respectueux et attentif aux besoins de ses hommes; par exemple, il faisait des concessions inhabituelles aux malades internés à l’hôpital. Il obtint ainsi l’octroi de treize pennies, par jour et par personne, destinés à la
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subsistance et aux soins de chaque résident, exigeant que cette somme serve à l’eau, aux assiettes, plats, cuillers et à un régime approuvé par le chirurgien en chef, en plus de leur fournir du feu et des bougies; de même, les infirmiers étaient compétents et veillaient à l’hygiène des patients.
Une autre qualité caractérisait la personnalité de Baker: c’était un homme pratique. Il considérait ainsi que l’enceinte de l’hôpital disposait d’un espace suffisant pour entreposer de précieuses provisions, et il fut utilisé comme tel, épargnant au gouvernement la location de maisons et d’entrepôts où elles étaient stockées. Ce personnage mourut en 1716 et, peu après, tout son travail se vit récompensé lorsqu’on put hospitaliser les marins blessés à la bataille de Passaro. (8)
On assure que, pendant la conquête de Sicile, la flotte du roi George III et ses quelque 7000 hommes, se rendait fréquemment au port de Mahon; les blessés et malades, qui pouvaient bien atteindre un total de 400 ou 500, étaient admis à l’ « Hôpital naval de l’îlot ».
L’hôpital fonctionna jusqu’en 1770, quand se produisit un effondrement qui interrompit partiellement sa fonction. Il fut reconstruit plus tard, à l’époque du Gouverneur Moystin, et on lui ajouta un étage.
Tout près de l’Ile du Roi se trouve, comme nous l’avons indiqué, l’Ile de la Quarantaine, également appelée l’ « Ile plate », qui fut primitivement un Lazaret en 1490.
En 1564, on installa un autre Lazaret dans les grottes de Cala Figuera. Les travaux de l’actuel commencèrent sous le règne de Charles III en 1793 pour se terminer en 1817. Sans avoir de relation directe avec l’Hôpital, l’Ile de la Quarantaine accueillait les personnels des bateaux qui étaient obligés d’y rester lorsqu’on les soupçonnait d’être infectés par la peste. Armstrong relate cette anecdote dans une lettre datée d’août 1740: « Il arriva que j’eus l’occasion d’observer dernièrement deux galères algériennes (à une époque où la peste faisait des ravages dans leur capitale) à qui on avait refusé l’entrée dans différents ports et qui avaient été refoulées par d’autres, entrer de force dans le port de Mahon sous le feu de nos batteries, préférant n’importe quel risque à la certitude de mourir de faim en mer. Mais comme ils avaient effectué une longue traversée, il advint qu’ils étaient libres d’infection, de sorte que cela n’entraîna pas de funeste conséquence. Ayant manqué de nourriture, leurs équipages avaient souffert les affres de la faim. » (9)
En face de l’Ile du Roi, sur la rive gauche du port, il y a un petit défilé où se trouve un cimetière connu comme le « Cimetière des jans », -nom supposé être une déformation du mot anglais « young » ou peut-être encore « John »-, qui pouvait avoir servi de lieu d’inhumation pour les morts de l’hôpital.
Le 18 avril 1756, à deux heures de l’après-midi, les troupes françaises du duc de Richelieu, appuyées par l’escadre du marquis de la Galissonnière, débarquent et prennent Ciudadela, poursuivant ensuite leur marche sur Mahon, en profitant de ce que ce matin-là les troupes anglaises s’étaient retirées de la route de Mahon (10). Le Gouverneur anglais se réfugia au Castel San Felipe, en attendant que les forces de l’Amiral Byng viennent à son secours; mais l’escadre anglaise fut mise en déroute par les Français et les renforts n’arrivèrent pas. Le gouverneur Blakeney dut finir par se rendre, de sorte qu’après deux mois et neuf jours de siège, les troupes françaises étaient maîtresses de l’Ile de Minorque, occupation qui dura six ans. Cette occupation française interrompit les travaux de l’hôpital commencés par Blakeney. Par le Traité de Paris en 1763, les Français abandonnent Minorque qui repasse de nouveau dans des mains anglaises et ainsi, en 1766 se poursuivirent les travaux initiés par Blakeney pour reconstruire l’hôpital.
Mais ce n’est qu’en 1771 qu’on entreprit sa reconstruction définitive, sur l’initiative du Gouverneur intérimaire de l’île, le général Moystin. La première pierre du nouvel édifice fut posée le 30 octobre 1771 par sir Peter Benis Baronet, Contre-Amiral de l’escadre et Commandant en chef pour la Méditerranée (selon ce que nous apprend une plaque de cuivre découverte en 1906 lorsqu’on acheva la démolition de l’édifice pour sa rénovation ultérieure). Construit entre 1771 et 1776, l’Hôpital avait deux niveaux et conservait sa forme en U, entourant un jardin. Il était situé dans la zone la plus élevée de l’île, orienté vers l’est. Les façades qui regardent la mer sont massives avec de petites ouvertures; celles qui sont orientées vers l’intérieur sont largement ouvertes; le niveau inférieur dispose d’un corridor
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très large. Le centre de l’édifice était -et est- couronné par une tour de forme quadrangulaire qui donne à l’ensemble une certaine élégance, et qui servait probablement de vigie pour annoncer l’arrivée des navires. A cette époque, l’hôpital disposait de 40 salles pour l’hospitalisation des malades et, en plus, de chambres pour le personnel sanitaire. Pharmacie, réserve de matériel, cuisine et salle de bains. Dans le jardin, il y avait trois citernes qui fournissaient l’eau nécessaire (6).
Bloody Island conserva ce nom pendant toute la domination anglaise. Plus tard, lorsque Minorque redevint espagnole, elle retrouva le nom d’Ile du Roi, qui lui est resté.
Pour donner une idée de l’importance qu’acquit l’hôpital reconstruit, à une certaine époque il comptait 1200 lits, chose qui ne se comprend qu’en prenant en compte l’énorme trafic maritime du port à cette époque.
Dans le courant de 1781, l’Espagne alliée à la France est engagée dans un conflit avec la Grande-Bretagne. Le comte de Floridablanca, alors secrétaire d’Etat du roi Carlos III, pense que c’est une bonne occasion pour reprendre Minorque qui était aux mains des Anglais. A cet effet, il prépare une expédition, chargeant le duc de Crillon de son organisation; et en effet, il lui fit savoir concrètement quelle serait sa mission le 14 juin 1781.
Térron Ponce (11) relate les événements: comme le duc de Crillon était français, cela créa un grand malaise chez les Espagnols, et suscita des opinions défavorables de la part d’éminentes autorités, car on interprétait sa nomination comme une manière de sous-estimer les Espagnols, ce qui néanmoins ne parvint pas à modifier la décision de Floridablanca. Les origines françaises de Crillon et ses contacts en France eurent une influence décisive pour que ce pays prenne part à la conquête de Minorque, à tel point qu’il obtint l’autorisation d’ajouter aux troupes espagnoles un Corps expéditionnaire français consistant en une Division d’Infanterie. Cependant, bien que la décision fût officielle, Crillon prit l’initiative de désigner, d’une façon particulière et secrète, certains professionnels français dont les uns étaient des « spécialistes » dans l’art de la guerre, les autres experts en ingénierie militaire, car il prévoyait qu’il fallait attaquer le Castel San Felipe, forteresse dans laquelle, supposait-il, -et en effet cela arriva- , se retranchaient les forces anglaises. Ainsi donc en juillet on les incorpora à l’expédition à Cadix, là où se préparaient les spécialistes de la Marine et de l’armée de terre. Ce n’est pas en vain qu’on considérait qu’une telle expédition avait une composante politique, en plus d’être militaire. Crillon disait: « Ce projet est aussi politique que militaire, dans tous les aspects où je l’ai envisagé ». (11)
Pour cette expédition, 52 bateaux se préparèrent et prirent la mer le 20 juillet. Le 19 août, 8000 hommes débarquèrent à Cala Mezquida. Les Anglais se retranchèrent dans le Castel San Felipe, forteresse considérée comme inexpugnable. Le duc de Crillon réclama alors des renforts dont le chiffre atteignit 14 000 hommes. La conséquence directe en fut qu’il n’y avait plus suffisamment de personnel sanitaire, ce qui obligea à demander de l’aide au Collège royal de Chirurgie de Barcelone. Le premier contingent qui arriva à Mahon se composait d’un chirurgien italien et de 16 étudiants. Plus tard arriva un autre contingent formé de 13 étudiants, qui non seulement effectuaient un service attentif auprès des troupes mais en plus assuraient les soins de santé des prisonniers anglais qui furent principalement décimés par le scorbut. A l’honneur de ce personnel de santé, il faut souligner qu’ils furent recrutés en à peine 48 heures, ce qui signifie que tous acceptèrent de bon gré l’enrôlement.
Le rapport que le général Murray, Gouverneur et Commandant militaire de Minorque, envoya à son gouvernement signalait « La garnison qui n’atteignait pas le chiffre de 900 hommes, était majoritairement à l’hôpital … et il faut souligner que les chirurgiens français et espagnols ont prêté leurs services dans nos hôpitaux, et ils n’ont rien omis de faire pour contribuer à notre rétablissement ». (12)
Nous laisserons ici un témoignage significatif. Dans la nuit du 26 au 27 décembre 1781, pendant le siège du Castel San Felipe par les troupes espagnoles, un tir d’artillerie provenant du Castel blessa grièvement un soldat du nom de Carlos Garain. Il appartenait au Régiment suisse de Betfchart, et eut la jambe droite brisée près du mollet. Transporté à l’hôpital, il s’obstina à cacher son mal et à persuader les chirurgiens et praticiens qu’ils ne reconnaîtraient pas. Une journée passa, et il se sentit mal; il demanda à se confesser et à recevoir les derniers Sacrements. Il mourut la nuit même et, en enlevant son cadavre, on
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s’aperçut qu’il ne s’agissait pas d’un homme mais d’une femme. Les médecins la reconnurent et prouvèrent qu’elle était vierge. Le duc de Crillon, mis au courant, demanda à suspendre l’enterrement jusqu’à son arrivée, et que l’on dépose le corps dans l’église du Carmen, revêtu de l’habit de la Vierge, avec Couronne et Palme. Elle fut inhumée le 29 avec tous les honneurs. D’après sa filiation, elle était la fille de Pedro et Carlota Willie, de religion catholique; elle avait 17 ans, née à S. Gall en Suisse. Elle était si déterminée à intégrer l’armée qu’elle réussit à vaincre de nombreuses difficultés pour y parvenir. Il reste à peser quel fut son principal mérite: son courage ou sa chasteté, mais elle fit en sorte de ne pas être reconnue comme femme. Elle noua même une amitié étroite avec un soldat de sa Compagnie, partageant son lit durant deux mois sans que le jeune homme découvrît son secret. (13)
Pendant la lutte pour la reconquête, les Espagnols détruisirent partiellement l’hôpital de la Bloody Island, en enlevant principalement les toitures, les portes et fenêtres qu’ils utilisèrent pour la construction des baraquements dans le Campement de San Felipe. Au cours du conflit, le Général en chef des troupes expéditionnaires aménagea l’une des casernes de l’esplanade du bourg de Villa Carlos, connue aujourd’hui comme la Caserne des Ingénieurs, et la transforma en Hôpital militaire pour soigner les blessés de guerre. (14)
La reconquête de Minorque prit fin le 4 février 1782, et avec elle se termina la seconde occupation de l’île par les Anglais. Le Roi accorda à Crillon le titre de Duc de Mahon. On attribua à la caserne où se trouvait l’hôpital, -Caserne des Ingénieurs- l’appellation « Duc de Crillon ».
Quelques jours après que l’île fut redevenue espagnole, le 16 février, Sa Souveraine Majesté Carlos III prit une série de mesures, assez drastiques et incompréhensibles, parmi lesquelles la démolition du Castel San Felipe et la fermeture du port de Mahon. Fort heureusement, cette dernière mesure resta sans effet. (15)
En 1783, le Traité de Versailles accorda de nouveau à l’Espagne la souveraineté sur Minorque. Lorsque l’Espagne reprit l’île, elle découvrit que les Anglais avaient deux hôpitaux pour l’Armée, et un pour la Marine, ce dernier situé sur l’Ile du Sang, nom qui avait remplacé l’ancienne appellation d’Ile du Roi. Le Gouverneur espagnol ordonna immédiatement la remise en état de l’hôpital de l’Ile du Roi, augmentant sa capacité et ajoutant une Chapelle dédiée à Saint Charles. Après la reconstruction, l’Hôpital fut inauguré le 5 avril 1784 et la Chapelle bénie le 1er août. (16)
Au début et pendant toute la durée des travaux, les Espagnols établirent l’Hôpital militaire au Couvent del Carmen, pour ensuite le transférer de nouveau à l’Ile du Roi, où il se maintint jusqu’en 1791, date à laquelle il fut évacué dans la bourgade voisine de Villa Carlos, pour pouvoir héberger les malades qu’on attendait en provenance d’Oran où l’on redoutait une épidémie. Cette ville avait été touchée par plusieurs tremblements de terre qui firent de nombreuses victimes, raison pour laquelle le Comte de Cumbre Hermosa, Alfonso de Albuquerque, prévoyant la possibilité d’une épidémie, demanda qu’on installe l’hôpital le plus important dans la ville de Mahon, parce que les bateaux qui arrivaient avec des vivres et du matériel, avaient des malades à bord. Heureusement, l’épidémie redoutée ne se produisit pas et l’Hôpital de Mahon n’accueillit aucun malade, de sorte que l’Hôpital de l’Ile du Roi pouvait de nouveau être utilisé comme Hôpital militaire. Cependant, cela ne se fit pas tout de suite parce que personne ne voulait affronter de nouveau les inconvénients qu’il présentait en raison de sa situation. En effet, les frais de transport par bateau incombaient au ministère des transports… D’un autre côté, à cause des tempêtes, l’hôpital pouvait rester isolé parfois pendant plusieurs jours, ce qui représentait un grave inconvénient pour l’admission en cas d’urgence; il fallait donc affréter une embarcation spéciale à chaque fois. Pour les urgences de nuit, comme le chirurgien et le médecin passaient la nuit à Mahon, on avait prévu de disposer de quatre lits à l’Hôpital civil des Soeurs de la Charité à Mahon. Les frais qui en découlaient étaient très élevés. De plus, le premier médecin, José Gil, et le second, José Portella, pensaient que le séjour à l’Hôpital de l’Ile du Roi pouvait être périlleux pour les malades, étant donné que ceux qui descendaient se baigner à la plage couraient un grand danger pour leur santé et pour leur vie. Pour toutes ces raisons, l’opinion générale penchait en faveur d’un maintien de l’hôpital à Villa Carlos, même si le bâtiment était insuffisant. A
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cela s’opposa avec la dernière énergie le Colonel du Régiment des Suisses de Saint Gall, alléguant que l’air méphitique provenant de l’hôpital arriverait à sa caserne qui était toute proche. (12) L’hôpital revint à l’Ile du Roi.
Nous allons apporter quelques éclaircissements sur la création du Lazaret, bien qu’il n’ait pas de relation directe avec l’Hôpital militaire.
En 1785 fut signée la paix entre l’Espagne et l’Administration algérienne, grâce à quoi on réussit à libérer 300 prisonniers espagnols qui furent rapatriés. Mais on ne put les débarquer sur la péninsule car le pays était en proie à la peste; ils furent donc envoyés à Minorque et installés sur l’île Colom. Cela nécessita la construction d’un Lazaret dans le port de Mahon, que l’on pensait situer entre Cala Taulera et le port lui-même. On réalisa en 1786 un ambitieux projet qui fut longuement étudié et fit l’objet de judicieuses observations. Les travaux commencèrent en 1793 et furent interrompus en 1798 à cause de la troisième occupation anglaise; ils reprirent en 1803 alors que Minorque venait de redevenir espagnole, décision motivée par l’apparition d’une épidémie de fièvre jaune. Le Lazaret n’entra en fonction qu’en 1817. (1)
L’Angleterre, qui suivait probablement de près les bonnes relations entre l’Espagne et la France, une fois terminée la guerre et signé le Traité de San Idelfonso en 1796 qui scellait leur alliance contre elle, trouva de bonnes raisons de déclencher en Espagne des maux tels que la déroute du cap de San Vicente du 14 février 1797; elle caressa ainsi l’idée de conquérir à nouveau Minorque.
Et en effet, elle arma une escadre de 28 voiles, avec des troupes placées sous le commandement de Carlos Stewart, qui quitta Gibraltar. Le 7 novembre 1798, ils débarquèrent à Cala Moli et Addaia, conquête qui se trouva facilitée par la négligence du Gouvernement et par l’aide des naturels du pays. Ainsi commença la troisième occupation anglaise (il est intéressant d’observer que, malgré quelques auteurs qui la qualifient de « troisième domination », ce nom est inapproprié car aucun traité international n’a validé cette occupation).
Le 15 novembre, le général Stewart écrivit à Sa Majesté britannique: « Les forces de Votre Majesté sont entrées en possession de l’île de Minorque, sans qu’il y ait eu la moindre perte ».
L’Hôpital Naval de l’Ile du Roi continua à fonctionner, car la majorité des bateaux qui circulaient dans la zone entraient facilement dans le port de Mahon. Il existe des données qui chiffrent à 1165 le nombre de bateaux qui entrèrent dans le port en 1801, chiffre qui donne une idée de l’intérêt que présentait l’Hôpital naval.
Le dernier Gouverneur anglais, le Général Clophane, arrivé à Minorque le 22 octobre 1801, reçut peu de temps après, le 8 novembre, l’ordre de suspendre les travaux de reconstruction du Castel San Felipe. C’était le prélude d’une prochaine restitution de Minorque à l’Espagne, comme cela se fit en effet par le Traité d’Amiens signé le 25 mars 1802. Et le 16 juin 1802, le général anglais remit l’île au Capitaine général des Baléares, Don Juan Miguel Vives, arrivé à Ciudadela le 14 juin pour cette cérémonie, accomplissant ainsi l’application du Traité d’Amiens qui terminait la troisième occupation anglaise et procédait au retour définitif de l’île à l’Espagne. Et donc, l’hôpital redevint Hôpital Militaire espagnol.
Mais les vicissitudes de l’Hôpital ne cessèrent pas pour autant. Pendant la Guerre d’Indépendance, au cours de l’année 1808, les ressources économiques de l’Etat étant épuisées, l’Hôpital subit une pénurie économique faute d’aides de l’Etat, situation très délicate qui poussa les employés à décider d’abandonner la petite Ile et à mettre l’édifice en vente, afin d’éponger les dettes; les malades furent de nouveau transférés à Villa Carlos. Grâce à l’intervention de la capitale de la Province, on put empêcher la vente de l’immeuble mais on ne put échapper à la location des terres en pâturages ni à ce que l’édifice ne serve d’abri pour le bétail. (17)
En 1812, le mouvement moyen mensuel de l’hôpital était de 61 entrées et autant de sorties, avec trois décès. Un autre chiffre curieux est que le 26 décembre 1817, on affecta
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3942 réaux pour un amphithéâtre anatomique qui servirait aux leçons d’anatomie des médecins…
En 1821, on réhabilita les installations de l’Hôpital et les malades furent ramenés de Villa Carlos. Mais à cause de la saturation des autres centres de santé de Mahon, qui étaient incapables d’accueillir les personnes en quarantaine, conséquence de l’épidémie de fièvre jaune, l’Hôpital de l’Ile du Roi fut partiellement reconverti en Lazaret. On réussit de cette façon à sauver la population de Minorque de la contagion.
Quelque chose de semblable arriva en 1832 avec l’épidémie de choléra, lorsque le Lazaret se vit débordé. Il est bien évident que les installations sanitaires du port de Mahon rendirent ainsi un grand service à l’Espagne et, par extension, au monde entier.
Un nouvel événement pour l’Hôpital se passa en 1830. En effet, comme conséquence de ce qu’on a appelé la « Guerre du Coup d’éventail » (14), les Français conquirent Alger et cela entraîna de grandes difficultés pour le suivi sanitaire des malades qui devaient être soignés en métropole. Ils passèrent un accord avec le Gouvernement espagnol pour pouvoir utiliser l’Hôpital de l’Ile du Roi; et c’est ainsi que le fonctionnement de l’Hôpital Militaire Espagnol repassa de nouveau à Villa Carlos. A cette époque-là, Villa Carlos est aussi le protagoniste d’un autre fait. Comme le relate Diego Pons dans son ouvrage « La Guerre des Chasse-mouches et ses répercussions à Minorque  » (1999), le gouvernement de Carlos X demanda à pouvoir affecter des casernes de l’esplanade de Villa Carlos à un usage hospitalier chaque fois qu’elles se trouveraient vides. Une fois rénové, l’Hôpital attribua une partie de la Place de l’Esplanade aux convalescents afin qu’ils puissent se promener et prendre l’air. Par conséquent, on procéda à la clôture du patio avec des murs de pierre. Une fois la guerre terminée, les installations furent peu à peu évacuées mais les murs qui fermaient le patio ne furent pas démolis. Un long procès opposa alors l’autorité civile et militaire jusqu’à ce qu’il se résolve en 1836, l’issue étant favorable à la suppression des murs. On considère que Minorque reçut quelque 2 500 malades et blessés français.
La présence des médecins français leur acquit bien rapidement une grande notoriété parmi la population civile de la ville de Mahon et ils étaient consultés chaque jour davantage. Cela provoqua un marché secret parmi les médecins de la ville et entraîna une certaine hostilité entre Français et Espagnols, ce qui aboutit à un arrêté d’interdiction pour les médecins français d’exercer auprès de la population civile de Mahon.
La situation changea de nouveau lorsque, en 1833, les Etats-Unis utilisèrent la petite île comme base de ravitaillement de son escadre en Méditerranée; ils y installèrent de grands dépôts et y créèrent un atelier de confection pour leurs uniformes.
En 1835, le choléra fit son apparition à bord de l’Escadre américaine ancrée dans le port de Mahon et les autorités navales affectèrent une partie des bâtiments de l’Ile du Roi à l’accueil et à l’hospitalisation des malades.
En 1839, l’hôpital était bien conservé et pouvait héberger environ 600 malades. Au cours de l’hiver 18391840 arriva à Mahon une commission française composée d’un médecin, un chirurgien et un officier du génie, dont la mission était d’adapter les installations de l’Hôpital pour les mettre en état de recevoir des malades français arrivant d’Algérie, ce qui porta la capacité de l’Hôpital à environ 400 à 500 lits. Aussitôt que les malades étaient en état d’être évacués sur Toulon, les lits vacants étaient occupés par d’autres. Beaucoup de ces patients qui étaient transférés depuis l’Algérie souffraient de dysenterie et certains décédaient avant d’arriver à Mahon. Le désir général des malades était naturellement de rentrer dans leur patrie, et; en Afrique, ils suppliaient d’être embarqués sur les vapeurs qui faisaient la ligne avec la France, convaincus que quitter l’Afrique guérirait leur maladie. Sur l’Ile du Roi, il y avait des stocks de charbon pour fournir les vapeurs. La certitude de se rétablir influençait favorablement l’évolution de ces malades et ils arrivaient même à guérir une fois hospitalisés sur la petite île, car ils répondaient positivement à un traitement opportun. Il ne fait pas de doute que l’Hôpital de l’Ile du Roi fut un lieu adéquat pour sauver quantité de vies. (18)
La présence des Français à l’Hôpital de l’Ile du Roi se maintint jusqu’à 1843 à peu près. Il se produisit un fait significatif. Certaines activités développées par les Français éveillèrent des soupçons chez les Anglais, un peu jaloux, qui attirèrent l’attention du
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Gouvernement espagnol; le Consul anglais à Mahon, le Colonel Fitzgerald, prétendit ainsi que la France envisageait une possible occupation de l’île et se livrait à l’espionnage en recueillant des données et des plans du port de Mahon ainsi que d’autres points stratégiques de l’île. La conséquence de tout cela fut que l’Espagne dénonça le compromis qui existait avec la France, et les Français quittèrent Minorque.
Nous transcrivons un document manuscrit intitulé « Description de l’Ile du Roi », réalisé par le capitaine E.M. Don José Muriel, daté de 1844 qui est aujourd’hui conservé aux Archives cartographiques et Etudes géographiques du Centre géographique de l’Armée, à Madrid. On y décrit les principales vicissitudes de l’Hôpital, jusqu’à cette date, dans les termes suivants:
« N.S. dans le port de Mahon se trouve l’Ile du Roi ainsi nommée, selon la tradition du pays, parce que D. Alfonso le troisième y débarqua en 1227 pendant la conquête; cette île est sous la Calafiguera, à l’endroit où le port de Mahon est le plus large, environ un mille; sa superficie est de cinq cent vingt cinq mille neuf cents et un pieds carrés; elle a une source à l’air libre, à ce qu’on dit, et à cette époque se trouve dans cette île un bel hôpital auquel elle donne son nom; son aspect montre en même temps les altérations que cet établissement a subies à l’époque où les Anglais étaient maîtres de l’île, et qui continuent.
En 1711, sous le gouvernorat de M. John Jennings, Commandant en chef de la Marine anglaise en Méditerranée, on fit construire un nouvel hôpital qui remplaça l’ancien, et il coûta 3 600 livres sterling, ce qui équivaut à 335 964 réaux et 24 maravédis de cuivre. En 1773 on commença l’actuel qui s’acheva en 1776. Il était capable d’héberger 700 à 800 malades et a coûté 400 000 réaux de cuivre et 120 000 pour la restauration de ce qu’avait souffert le dernier site. Cet hôpital qui a servi pour la garnison et la marine possède des locaux non seulement pour nombre de malades comme on l’a mentionné, avec toutes ses nécessités, mais aussi des habitations bien vitrées pour le Gouverneur, les médecins, le pharmacien, les infirmiers, ainsi que d’autres dépendances à usage idoine, salle d’anatomie, morgue, etc. Une Place, avec un petit jardin, des bains de mer, tout cela propre et bien aménagé; cet endroit est très agréable l’été parce qu’on profite des vents de mer.
Ce bâtiment si propre à l’usage auquel il est dédié fut abandonné, à cause de l’isolement dans lequel il se trouve, et donc pour les soins à huit ou dix patients quotidiens qui en temps normal y sont accueillis, cet isolement ne plaisait pas aux médecins, du fait du manque de ressources pour payer une ou deux petites embarcations qui faisaient le transport entre l’hôpital et la ville. Cela a fait qu’ont été oubliés peu à peu, non seulement la bonne situation que promettait cet établissement pour sa finalité, mais jusqu’à l’avantage que rapportait au Trésor le fait d’avoir là des malades. Il en découle que, en 1830, après le blocus d’Alger par la Marine française, le Gouvernement espagnol ne vit pas d’inconvénient de mettre à la disposition de cette escadre l’Ile du Roi, que l’on conserva en la réparant le mieux possible jusqu’en 1831, époque où, abandonnée des Français, elle commença à servir à l’escadre anglo-américaine, qui stationna dans le port jusqu’au 18 février 1835. C’est là qu’arriva au port un navire français qui déclara le choléra parmi son équipage; son chef sollicita et obtint du Commodore américain qu’il lui cède l’édifice; la Marine française l’utilisa dans cet état jusqu’à ce que son gouvernement, convaincu de l’utilité d’une partie de cet établissement pour stocker non seulement du charbon dont pouvaient avoir besoin les vapeurs dans leurs traversées vers l’Algérie, mais aussi des gréements et d’autres matériels, sollicita du gouvernement espagnol la location d’une partie dudit édifice à cet effet, concession qui lui fut accordée pour deux ans, et à la modique somme de 300 réaux de cuivre annuels. A l’approche du délai accordé, il redemanda la location de tout l’édifice pour deux ans, au même tarif, afin d’établir un Hôpital, ce qui lui fut accordé. Le contrat expira le 3 septembre 1841, date à laquelle ils le remirent au gouvernement espagnol, au pouvoir duquel il subsiste, sans que jusqu’à aujourd’hui il ait eu d’autre finalité que l’objet pour lequel il fut institué.
Fait à Palma le 30 décembre 1844. Signé et paraphé par José Muriel. »
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Après 1843, l’Hôpital fut un temps abandonné jusqu’à ce qu’en 1852, le Capitaine général des Iles décide la mise en service immédiate de l’Hôpital; les malades, ainsi que le matériel, sont transportés de Villa Carlos à l’Ile du Roi qui se transforme une nouvelle fois en Hôpital militaire espagnol, ceci jusqu’en 1964, date à laquelle il est transféré définitivement dans un nouvel édifice construit à cet effet, situé à Mahon sur la route de San Clemente, auquel on donne le nom d’ « Hôpital Cuesta Monereo » . Il fut fermé plus tard et n’existe plus aujourd’hui. Le bâtiment a été récemment vendu aux enchères.
Nous avons déjà évoqué les inconvénients liés à sa situation, qui persistaient bien évidemment. Il arriva ainsi en 1885 que l’hôpital resta isolé pendant 48 heures à cause d’une tempête qui empêchait la traversée vers l’île, ou seulement à grand risque; sachant qu’on serait complètement mouillé par les vagues, on pouvait y arriver, ce qui n’était pas très fréquent si cela s’est fait de temps à autre. Rappelons que la traversée se faisait dans des barques à rames: on allait chercher le patient à l’embarcadère situé juste en face de l’hôpital et on le transportait en barque; le trajet était très court mais par tempête c’était assez périlleux.
Il arriva une fois qu’à cause d’un coup de mer le patient que transportait la barque, avec son brancard, tomba à la mer; comme il savait nager, ce fut assez facile de le secourir, mais le sauvetage d’un des infirmiers qui ne savait pas nager fut beaucoup plus compliqué. Cette situation d’isolement perdura jusqu’au transfert définitif à la ville de Mahon, bien qu’elle se fût améliorée avec la mise en service d’un bateau à moteur qui par tempête, là où la traversée par barque à rames était impossible, permettait de transporter les malades comme le personnel soignant. La pénurie économique de l’hôpital dura longtemps, nous en prenons comme exemple une note de Massons. Il dit: « Don R. Torras Morell en 1927 fut admis comme soldat souffrant d’un ulcère gastrique, il n’y avait pas d’éclairage électrique dans cet hôpital. » (12) C’est ainsi qu’ils utilisaient donc des quinquets.
Un détail curieux: le 14 août 1903, on inhuma au cimetière de Mahon le premier soldat espagnol qui provenait de l’Hôpital de l’Ile du Roi, parce qu’il n’y avait pas de place dans le cimetière de l’île qui était saturé; l’autorité militaire établit une convention avec l’autorité civile pour pouvoir utiliser le cimetière de Mahon;
Pendant la Guerre Civile espagnole, l’hôpital continua à fonctionner normalement, et, une fois la guerre terminée, il acquit une notable considération. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on admit à l’Hôpital les blessés et brûlés qui provenaient du naufrage du cuirassé Roma, torpillé par les Alliés.
Dans les années 1940, à l’initiative du Directeur-chirurgien d’alors, le Dr Echeverria, le jardin de l’hôpital s’enrichit d’une belle statue du Sacré-Coeur de Jésus.
Un triste événement se produisit le 26 juin 1953, lorsqu’un projectile d’artillerie explosa lors d’un entraînement de tir à la Batterie de Llucalari. Il fallut soigner à l’hôpital de nombreux blessés.
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EPILOGUE
L’assistance sanitaire des malades hospitalisés fut, pendant de longues années, assuré par les Soeurs de la Charité, qui résidaient à l’hôpital; elles effectuèrent un travail exceptionnel et furent une aide incomparable pour les médecins, non seulement en ce qui concerne les soins et l’assistance au bloc opératoire, mais aussi l’organisation et le maintien en ordre des salles où étaient logés les patients. Par leur travail, les Religieuses contribuèrent sans aucun doute à la renommée de l’Hôpital.
L’assistance religieuse, quant à elle, fut assurée au début par les prêtres de la paroisse de Villa Carlos, jusqu’à ce qu’on passe un contrat avec un prêtre qui avait sa résidence fixe à l’Hôpital.
Comme témoignage de l’intérêt que lui ont porté les autorités de Villa Carlos, pour recevoir en bonne et due forme les patients transportés à l’Hôpital militaire, il existe une copie des Obligations du Médecin d’un Hôpital militaire, du règlement et ordonnance de 1739, qui est toujours conservée aux Archives municipales et qui me fut aimablement fournie par M. Diego Pons, historien-archiviste de la ville.
REMERCIEMENTS
Je souhaite laisser un témoignage de ma reconnaissance aux personnes qui m’ont aidé et fourni les données intéressantes. Parmi celles-ci, Antonio Segui, ex-batelier de l’hôpital. Diego Pons, de la Mairie de Villa Carlos. Luis Mestres Gorrias. Le Colonel Francisco Fornals. A tous, MERCI!
Note: Comme le lecteur l’aura constaté, il y a une petite différence de dates et de faits entre l’un ou l’autre document consultés.
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